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Photo du rédacteurClaire Leonelli

Enregistrer un son à titre de marque : où en est-on ?


Sound Trademark EU General Court T-668/19
© Claire Leonelli

Une marque, c’est un signe distinctif enregistré auprès d’un office des marques qui permet de distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises. Il peut s’agir d’un nom, d’un logo, d’une forme, etc. Mais qu’en est-il des sons ?


Une sonnerie, une mélodie, un jingle, un son de la nature, etc. peuvent tout à fait être enregistrés à titre de marque pour autant qu’ils remplissent les critères de celle-ci.


Comme toute marque, les marques sonores sont protégées contre toute utilisation non autorisée par des tiers d'un son identique ou similaire pour distinguer des produits ou services identiques (selon les cas, à condition qu'il existe un risque de confusion).


Ces critères ont récemment été précisés par une décision du 7 juillet 2021 du tribunal de l’Union européenne (TUE) .


A ce jour, plus de 250 marques sonores ont été acceptées à l'enregistrement par l'EUIPO, l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle, telle que, par exemple :

🔹 la marque de l'Union européenne 018026128 déposée par Roche Diagnostics GmbH pour, entre autres, des appareils de laboratoire destinés à être utilisés dans la recherche et la science : cliquez ici pour écouter le son enregistré ;

🔹 la marque de l'Union européenne 018029296 déposée par Mastercard International Inc. pour des services financiers, ainsi que des logiciels et services informatiques y associés : cliquez ici pour écouter le son enregistré ;

🔹 la marque de l'Union européenne 018129075 déposée par Lidl Stiftung & Co. KG pour des services de vente au détail : cliquez ici pour écouter le son enregistré.


Comme toute marque, une marque sonore peut uniquement être enregistrée si elle remplit certain critères, en particulier :

➡️ être représentée au moyen de la technologie communément disponible pour pouvoir être reproduite dans le registre des marques d’une manière claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective, et

➡️ être apte à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux de ses concurrents, c’est-à-dire distinctive.


"What you see is what you get"


Chaque office peut avoir ses propres exigences de représentation de la marque. Ainsi par exemple, pour les marques de l’Union européenne (MUE), les demandes de marques sonores doivent consister en un fichier audio reproduisant le son (mp3) ou en une représentation fiable du son en notation musicale (partition). Les autres moyens de représentation, comme les onomatopées, les notes de musique seules et les sonogrammes ne sont pas acceptés. A défaut de satisfaire à ces conditions, la demande de marque sera refusée.


Cette condition est essentielle pour permettre aux autorités compétentes (offices et tribunaux) et aux concurrents de déterminer avec précision l’objet même de la protection et ainsi le champ de protection de la marque. Cela est d’autant plus important que, une fois déposé, le signe ne peut plus être modifié par la suite, sauf à procéder à un nouveau dépôt ayant alors une date ultérieure.


Sortir du lot


Même si la condition de représentation est remplie, une marque sonore sera refusée à l’enregistrement si celle-ci est considérée par l’office des marques comme n’étant pas distinctive. Autrement dit, si l’office estime qu’elle n’est apte en elle-même à être identifiée comme une marque par le public.


La question est alors de savoir si le consommateur moyen percevra le son comme étant facilement mémorisable et comme un marqueur de l’origine commerciale des produits ou services en cause. La difficulté vient du fait que si le public est habitué à percevoir instantanément des signes verbaux ou figuratifs comme une marque, il l’est beaucoup moins à l’égard des sons.


La pratique de l'EUIPO


En pratique, l'EUIPO considère que les sons suivants se sont pas capables de constituer une marque valable :

🔹 des morceaux de musique très simples constitués de seulement une ou deux notes qui ne seront pas mémorisés par le consommateur concerné de ce fait ;

🔹 des sons qui relèvent du domaine commun tels que la lettre à Elise ;

🔹 des sons qui sont trop longs pour être considérés comme une indication de l’origine (par exemple une musique de 39 secondes) ; ou

🔹 sounds traditionally associated with specific goods and services or their characteristics or produced by such goods or services (e.g. motorcycle noise for land vehicles or machine noise for computer services).


Jusqu’à peu, la pratique de l’EUIPO consistait à transposer aux marques sonores sa jurisprudence concernant les marques tridimensionnelles et de considérer que seul un son qui, de manière significative, divergeait de la norme ou des habitudes du secteur était de nature à constituer une marque valable.

La décision du TUE de 2021


La pratique de l'EUIPO a été récemment discutée devant le TUE, saisi pour la première fois au sujet de la validité d'une marque sonore (aff. T-668/19 Press and Information Ardagh Metal Beverage Holdings v. EUIPO). La marque en question consistait en un fichier audio rappelant le son qui se produit à l’ouverture d’une canette de boisson, suivi d’un silence d’environ une seconde et d’un pétillement d’environ neuf secondes. L’enregistrement avait été demandé pour différentes boissons ainsi que pour des conteneurs pour transport et entrepôts en métal. L’EUIPO a rejeté cette demande de marque au motif que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif. Le déposant a interjeté appel devant le TUE qui a confirmé les conclusions de l’EUIPO.


Le TUE apporte un certain nombre de précisions intéressantes, à savoir

➡️ la jurisprudence relative aux marques tridimensionnelles n’est pas transposable aux marques sonores;

Le TUE infirme donc la pratique de l’EUIPO à ce titre ;

➡️ les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques sonores ne diffèrent pas de ceux applicables aux autres catégories de marques ;


➡️ • un signe sonore doit produire une impression suffisante pour que le consommateur puisse le percevoir comme une marque et non pas comme un élément de nature fonctionnelle ou un indicateur sans caractéristique intrinsèque propre : le consommateur doit pouvoir, par la seule perception de la marque, sans qu’elle soit combinée à d’autres éléments (verbaux, figuratifs, etc.), faire le lien avec l’origine commerciale des produits ou des services en cause ;


➡️ pour constituer une marque valable, la combinaison sonore doit être inhabituelle et ne pas correspondre aux éléments prévisibles et usuels sur le marché en cause. Tel n’est pas le cas du son consistant en l’ouverture d’une canette suivie d’un silence et d’un pétillement.


Notons que si le caractère enregistrable d’un signe relève en premier lieu de l’appréciation au cas par cas de l’office des marques concerné, il incombera au déposant de convaincre l’office (et le cas échéant les instances d’appel) que le signe sera bien perçu comme une indication d’origine commerciale et donc constitue une marque valable.


Ecrit par Claire Leonelli et Claire Denoual, Avocats à la Cour – /c law



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