Écrit par Claire Leonelli et Claire Denoual - Avocats à la Cour - C-Law
Publié Le 12.06.2018 - Paperjam
Le 25 mai est déjà derrière nous, le GDPR est entré en vigueur et il n’y a pas (encore?) eu d’apocalypse. Nul doute que le sujet mobilisera d’importantes ressources. L’air printanier donne néanmoins envie de changement, de changement de sujet en l’occurrence, pour traiter une thématique qui concerne chaque entrepreneur: la marque et plus précisément son obligation d’usage.
Dans les grandes lignes, une marque, tout le monde voit plus ou moins ce que c’est. Que nous le voulions ou non, les marques font partie de notre société de consommation à tel point que nous sommes capables d’en reconnaître beaucoup à partir de leur seul logo et que certaines font partie intégrante de notre vocabulaire courant («On se Skype?», «tu l’aurais en Word?», «t’as pas vu mes Stan Smith?»).
Les marques nous aident à choisir nos produits en nous offrant l’assurance de leur origine, ou alternativement à nous en détourner lorsque nous avons fait une mauvaise expérience. Certaines vont même parfois jusqu’à s’insinuer dans notre intimité au point de devenir un marqueur de notre personnalité, et pas seulement pour les adolescents ou les «fashionistas» (Mac vs PC, Porsche vs Jaguar, TomTom vs Garmin…).
Du point de vue de l’entreprise, une marque est surtout un moyen de se distinguer de ses concurrents, de rallier les consommateurs et incidemment un outil de communication.
Sur le plan juridique, pour obtenir une protection accrue via l’action en contrefaçon, une marque doit avoir été enregistrée devant les offices de propriété intellectuelle compétents (OBPI, EUIPO, INPI, etc.).
Elle devient alors un actif immatériel tangible, susceptible de valorisation au bilan et de cession (idéalement avec plus-value). D’où l’intérêt de déposer à titre de marque le nom de ses produits/services ou la dénomination de son entreprise.
(Relativement) facile à déposer, la marque offre à son titulaire une protection virtuellement éternelle bien que territoriale, pour autant que les taxes de renouvellement soient dûment acquittées tous les 10 ans. Le titulaire de la marque dispose alors du droit de s’opposer à toute reproduction ou imitation de sa marque par des tiers pour désigner des produits ou services identiques ou similaires.
Encore faut-il que la marque soit exploitée, du moins à l’issue d’un délai de cinq ans après son enregistrement. En l’absence d’usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans, une marque peut, à la demande d’un tiers, faire l’objet d’une déchéance pour les produits ou services pour lesquels elle n’est pas exploitée.
Le monopole lié à la marque tombe alors et la marque ne peut plus être utilisée au soutien d’une action en contrefaçon. Cela ne signifie pas que son titulaire ne peut plus continuer à l’utiliser dans le cadre de son activité, mais il ne peut plus sur ce fondement empêcher les tiers de l’utiliser également.
Dis comme cela, la règle est loin d’avoir l’air d’une gageure: pourquoi exploiter une marque si ce n’est pas pour l’utiliser? Si la marque n’est pas exploitée, à quoi bon la conserver?
En pratique, les choses sont beaucoup moins simples car, en cas d’action en déchéance pour défaut d’usage, il revient au titulaire d’apporter la preuve, dans un délai souvent réduit, qu’il a bien fait un usage sérieux de sa marque telle qu’enregistrée, sur les territoires concernés, pendant les cinq dernières années, et que cet usage a bien été effectué de manière publique à titre de marque pour désigner les produits ou des services visés lors du dépôt.
Un tel exercice peut s’avérer extrêmement difficile si certaines précautions n’ont pas été prises dès l’origine. Pour illustrer ce propos, une anecdote vécue: une célèbre marque d’horlogerie avait, entre autres, déposé une version stylisée de l’initiale de sa marque. Un adversaire lui reprochait de ne jamais l’avoir exploitée. Le dossier semblait mal engagé alors que l’horloger restait incapable d’apporter quelconque élément. Un regain d’espoir apparut lorsqu’un membre de notre équipe constatait que le remontoir de sa propre montre comportait la gravure du logo contesté. Pourtant, ce seul élément restait insuffisant à lui seul s’agissant d’une preuve ni datée ni localisée. Il ouvrait heureusement des pistes à de longues et difficiles investigations qui auraient pu être évitées si un archivage systématique et organisé des preuves d’usage de la marque avait été mis en place.
Que faire alors en pratique?
Photographier un exemplaire de chaque modèle de produit, des étiquettes et emballages reproduisant la marque
Reproduire la marque telle que déposée sur ses documents commerciaux et de communication, les dater et idéalement préciser les territoires visés (conditions générales, bons de commande, factures, newsletters, etc.)
Indiquer le nom de la marque et une description du produit ou du service dans ses factures
Prendre des photographies de son stand lors de la participation à des salons et les poster sur les réseaux sociaux
Conserver une copie de toute campagne publicitaire et des preuves de leur parution (bons de commande, factures, etc.)
Faire réaliser ponctuellement des constats d’huissier de son site Internet ou des autres usages en ligne
Déposer une fois par an les éléments non datés chez un huissier ou auprès de l’OBPI (i-dépôt)
Regrouper ces éléments (ou des exemplaires significatifs) dans un dossier, les classer par année et par territoire
L'image ci-dessus est sous licence CC BY-NC-ND 2.0
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